Il est temps d’en finir avec la fable
du salaire minimum européen
Le Figaro/Tribune par Francis Journot, publiée le 11 avril 2019 - Francis Journot, initiateur du projet «International Convention for a Global Minimum Wage», explique pourquoi il est illusoire de croire au «salaire minimum européen» en arguant que le projet est incompatible avec les disparités structurelles des 28 pays de l’Union européenne. Il milite pour un salaire minimum mondial sous d’autres modalités.
La théorie d’un salaire minimum européen ou mondial selon une proportion du salaire médian de chaque pays, s’est toujours révélée peu convaincante et rares sont les économistes qui apportent encore aujourd’hui leur caution. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a renoncé depuis plusieurs décennies à l’instauration de ce modèle. La Commission européenne évite maintenant ce sujet qui fâche des pays membres et préfère évoquer une notion plus générale de « convergence économique et sociale européenne » ou l’objectif non moins sibyllin de « socle européen des droits sociaux ».
Mais le président français Emmanuel Macron, certainement à court d’idées progressistes, a réveillé ce vieux serpent de mer. Pourtant, le projet est incompatible avec les disparités structurelles des 28 pays de l’Union européenne et s’avérerait hasardeux. Les candidats se livrent maintenant à un véritable concours et les recommandations varient quasiment du simple au double: Nathalie Loiseau, tête de liste du parti présidentiel LREM, souhaite un SMIC Européen correspondant à 50 % du salaire médian de chaque pays de l’UE et un expert en politiques sociales enseignant à l’ENA et affilié à LREM, préconise, dans un tribune sur Libération, 40 à 50 %. Les listes Génération S de Benoit Hamon, PC menée par Ian Brossat ainsi que EELV de Yannick Jadot optent pour 60 %. Raphaël Glucksmann, tête de liste Place publique et PS veut 65 % tandis que Manon Aubry de LFI surenchérit avec 75 %.
Les candidats n’ont, semble-t-il, pas jugé utile de procéder à des simulations ou peut-être ont-ils préféré la simplification démagogique à la rigueur des chiffres. En effet, au lieu de la hausse de niveau de vie souhaitée et de la convergence visée, nous pourrions assister au contraire, selon le taux préconisé, à une baisse dans la moitié des pays, des salaires à minimas dont certains comptent déjà parmi les plus faibles d’Europe ou souvent, à une augmentation du différentiel entre les rémunérations minimums. De plus, si l’on considère que la dépense publique dans les pays de l’UE est en moyenne, proche de 50 % du PIB dont une part importante est représentée, selon la structure propre et l’externalisation des services, par le coût des emplois publics ou privés, il apparait alors que cette mesure pourraient générer dans certains Etats, une flambée du déficit public et par ailleurs, leur ferait parfois franchir la limite autorisée de déficit public de 3 %. Le risque d’inflation que l’on peut rencontrer lors d’une hausse du salaire minimum, n’est pas non plus anticipé. Cependant, l’inquiétude n’est pas de mise puisque ce projet n’obtiendrait probablement jamais l’unanimité requise au sein de l’UE et sera enterré jusqu’à la prochaine élection européenne mais le traitement fantaisiste de ce sujet économique majeur peut consterner.
Cette idée de salaire minimum européen qui a fait son apparition au cours des années 90, brandie pour valoriser l’Europe sociale chère à ses pères fondateurs, n’a pas été spécifiquement théorisée pour l’Union européenne par quelque émérite chercheur ou par un groupe d’élus, mais simplement empruntée à l’Organisation Internationale du Travail. Mais à une époque où l’UE ne comptait que 12 à 15 pays membres dont les niveaux de vie étaient globalement proches et le rythme des nouvelles adhésions, raisonnable, l’option était envisageable (France, Allemagne de l’Ouest, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays Bas lors de la création de la CEE en 1958, Danemark, Irlande et Royaume Uni en 1973, Grèce en 1981, Espagne et Portugal en 1986, Allemagne de l’Est en 1990, Autriche, Finlande et Suède en 1995). Cependant, le nombre de pays membres a doublé aux cours des deux décennies suivantes et l’homogénéisation de l’Union européenne par ce moyen, apparaît maintenant utopique. On peut néanmoins comprendre que les gouvernements des pays européens à plus bas coûts, à l’instar de leurs concurrents plus lointains, hésitent à augmenter les salaires et à s’exposer ainsi à une diminution de leur avantage compétitif. Il conviendrait d’en tenir compte dès l’élaboration d’un projet de salaire minimum.
Aussi, est-il indispensable, dans le contexte de mondialisation, d’examiner le sujet du salaire minimum en Europe, sous un prisme plus large. Apres 6 ans de travaux et près d’une décennie, si l’on inclut les sujets connexes qui ont initié cette réflexion, le projet « International Convention for a Global Minimum Wage », susceptible de réintroduire des équilibres en amont des mécanismes économiques internationaux, bénéficie maintenant à travers le monde, d’un réseau de plusieurs milliers d’économistes majoritairement expérimentés et titulaires d’un doctorat en économie. Le concept intègre les réalités économiques et s’appuie sur des paramètres fondamentaux (flux financiers, capacité budgétaire des États, nature des échanges, activité industrielle etc..) pour proposer un calendrier consensuel et pragmatique. Il pourrait constituer aujourd’hui en ce domaine, la seule proposition viable et de nature à faire reculer les inégalités mais aussi les dégâts du consumérisme sur l’environnement au moment où la principale réponse actuelle semble être la multiplication de taxes « climat » aussi inéquitables qu’inefficientes mais surtout exigées par des partis et des ONG d’une écologie politique et idéologique. Mais l’instrumentalisation des thèmes du salaire minimum ou de l’écologie, est contre-productive et s’exerce au détriment d’approches économiques plus objectives et de solutions rationnelles.
Francis JOURNOT est l’initiateur du projet International Convention for a Global Minimum Wage