Environnement : un salaire minimum
mondial pourrait reussir là
où les COP ont échoué
FIGARO ECONOMIE Par Francis Journot Publié le 07/02/2018
LE FIGARO/TRIBUNE - Francis Journot fait le constat de l'échec des COP, qui n'ont pas su endiguer les effets dévastateurs de la mondialisation des échanges sur le climat. Selon lui, l'instauration d'un salaire minimum mondial réduirait les dégâts environnementaux de la culture du «jetable».
L'impasse des COP
Le dérèglement climatique paraît indéniable mais, est-ce un processus cyclique naturel de réchauffement du climat contre lequel nous ne pouvons guère ou peu lutter, ou au contraire une conséquence directe de l'industrialisation depuis 200 ans, que l'écologie punitive prônée par les COP (Conferences of Parties) entend combattre?
Entre idéologie et incertitudes scientifiques, chacun semble s'être déjà forgé une opinion. Bien que divisés, 154 chefs d'États souriaient devant les caméras du monde entier au cours de la 21ème conférence sur le climat, réunie en 2015 à Paris. Mais deux ans plus tard, la deuxième phase de négociation ne réunissait qu'une vingtaine d'entre eux à la COP 23 de Bonn.
Les pays émergents ou en développement ne veulent pas se voir imposer des freins économiques et des chefs d'États de pays développés craignent que de nouvelles réglementations et taxes envers les entreprises et les contribuables affaiblissent leurs pays (les USA déploraient en 2016 un déficit extérieur de 478 milliards de dollars avec la Chine).
Une accumulation de taxes ne saurait constituer une politique environnementale
Peut-on sérieusement vouloir davantage de libre-échange, et en même temps affirmer lutter pour la préservation de l'environnement ?
En quelques décennies, l'homme a davantage dégradé son environnement naturel qu'en deux millénaires ; et si l'on adhère au postulat formulé par les COP selon lequel le réchauffement climatique lui incombe aussi, il apparaît alors qu'une rationalisation du libre-échange serait plus efficace que l'instauration de taxes carbone et de transition énergétique. Celles-ci pèsent en aval surtout sur le budget d'automobilistes qui n'aspirent qu'à aller travailler, de foyers modestes qui consomment les produits jetables et sans cesse renouvelés que la mondialisation met dans leur panier, sur la facture d'énergie de gens qui parfois ne disposent pas d'un revenu suffisant pour se chauffer en hiver ou sur les bilans des derniers manufacturiers qui délocaliseront finalement leur production de biens de consommation dans un pays sans taxation carbone mais dont le transport augmentera les émissions de gaz toxiques.
Empiler des taxes et réglementations environnementales peu opérantes, s'épargner une réflexion économique globale et prétendre arbitrer les responsabilités ou devoirs de chacun des pays mais selon des critères propres tenant plus du dogmatisme que du pragmatisme, relève d'une incompréhension du monde cynique et s'apparente à du racket fiscal mais ne saurait permettre de façonner une vraie politique environnementale. Peut-on sérieusement vouloir davantage de libre-échange, et en même temps affirmer lutter pour la préservation de l'environnement?
En février 1992, des chefs d'États européens signaient à Maastricht le traité fondateur de l'Union européenne devenue depuis, conformément à ses traités, la zone de libre-échange la plus ouverte aux importations, puis recommandaient au mois de juin de la même année au sommet de la terre de Rio une meilleure gestion de la planète. Maintenant, plus de 70 000 cargos sillonnent les mers et rejettent 1 milliard de tonnes de CO2 par an.
De même, l'OMC affirme que la protection de l'environnement figure parmi ses objectifs fondamentaux mais a supprimé les quotas d'importation textile en 2005. Depuis, cette industrie est montée sur la deuxième marche des secteurs les plus polluants, juste derrière l'industrie pétrolière. D'après un rapport publié le 28 novembre 2017 intitulé «Redesigning fashion's future», l'équivalent d'un camion poubelle chargé de textile est incinéré ou jeté chaque seconde. Le gaspillage des vêtements à peine portés avoisinerait 500 milliards de dollars par an et les 500 000 tonnes de microfibres rejetées à la mer chaque année, représenteraient l'équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastique.
Les dernières COP réclament un financement annuel de 100 Mds de dollars, supposé permettre de mener des actions en faveur d'un ralentissement du réchauffement. Lors du One Planet Summit, le commissaire européen Valdis Dombrovskis surenchérissait: «Pour limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 degrés, l'Europe a besoin de 180 milliards d'euros par an d'investissements supplémentaires.» Le programme qui égrène de nouvelles mesures fiscales en faveur du climat et le marché florissant des green bonds pourraient davantage évoquer auprès des contribuables une folle financiarisation, et le danger d'une «bulle verte», plutôt qu'un combat concret pour l'environnement.
L'illusion du low-cost
Le low-cost constitue une anomalie écologique, économique et humanitaire. Des populations sont paupérisées pendant que d'autres connaissent des conditions de travail proches de l'esclavage. Lorsqu'une ouvrière rémunérée quelques dizaines d'euros, assemble plusieurs centaines ou milliers de vêtements, le coût de revient varie souvent entre un euro pour un tee-shirt et quelques euros pour d'autres vêtements ou un peu plus selon le positionnement marketing de l'enseigne ou de la marque. Mais la surexploitation ou l'absence de respect des normes exigent ensuite un assainissement des rivières, une reforestation, la réintroduction d'espèces, mais aussi des soins pour des travailleurs malades.
Associer le précepte «consommer moins mais mieux» à un mécanisme économique
Le défi qui consiste aujourd'hui à ralentir le tourbillon de la surconsommation peut être relevé en agissant sur les modes de consommation et de production. Certes, nous devons réapprendre à consommer mais on peut craindre que la recommandation «consommer moins mais mieux» ne suffise guère. Les consommateurs n'ont pas toujours le choix et doivent le plus souvent se contenter d'une offre low-cost obsolescente et jetable imposée par les marques et les grandes enseignes. C'est surtout en amont que nous pourrons recréer des équilibres. Aussi nous faut-il concevoir les mécanismes économiques qui, à terme, produiront l'effet recherché.
Avant la délocalisation massive de l'industrie manufacturière des biens de consommation, les coefficients multiplicateurs appliqués au prix de revient étaient à peu près semblables chez l'ensemble des commerçants de chaque profession. Compte tenu d'un salaire minimum et traditionnellement, d'une bonne qualité de confection, le prix de vente final correspondait généralement à la valeur réelle du bien et la consommation était régulée. Aujourd'hui, le prix de vente est déterminé selon le prix psychologique du marché (le montant que le consommateur est prêt à débourser). Il n'est plus rare de payer un article 10 ou 20 fois son prix de revient sorti d'usine. Certes, les taxes douanières participaient auparavant à une modération de la production mondiale et il faut admettre qu'il se révélerait difficile de restaurer la transparence et l'équilibre antérieurs dans le contexte actuel de libre-échange dérégulé. Il serait cependant possible d'œuvrer dans ce sens en guidant les entreprises vers une revalorisation des produits qui ferait ensuite considérablement diminuer les gaspillages et la surconsommation.
Quand le coût de la main d'œuvre est très bas, les industriels sont moins attentifs à la qualité de conception et de fabrication d'articles, qui, subséquemment, sont peu durables mais trouvent néanmoins le plus souvent acquéreur ou sont détruits. Un salaire minimum mondial encouragerait une diminution de la production de produits jetables. Celui-ci devrait être spécifique à l'exportation et des pays seraient regroupés par catégories salariales. Les chefs d'États de pays émergents en percevraient la dimension humaine et philosophique mais aussi économique. Les avantages et bénéfices d'un salaire décent, source de nouvelles recettes fiscales et de développement financé par une plus forte contribution des donneurs d'ordres, pourraient les convaincre. La simplification de l'engagement et de la mise en œuvre dans les pays respectifs faciliterait une application globale et rapidement opérationnelle. À terme, le salaire minimum mondial générerait un effet macroéconomique positif sur le niveau de vie de populations entières. Cependant, compte tenu d'une part salariale toujours mineure, le nouveau salaire n'affecterait que modérément le prix acquitté par le consommateur.
La convention internationale pour un salaire minimum mondial par groupes de pays et spécifique à l'exportation
La convention internationale pour un salaire minimum mondial que l'on aurait pu aussi baptiser convention internationale pour la dignité humaine et la préservation de la planète, s'affranchirait des traités internationaux de commerce et de libre-échange, en vertu d'un principe de légitimité et de hiérarchie des priorités.
Organisée sous l'égide des deux grands marchés de consommateurs (USA et UE), elle serait, afin d'en privilégier l'efficacité, indépendante des organismes existants (pour exemple, la gestion calamiteuse de la convention de 1928 pendant 90 ans par l'OIT peut faire douter de l'utilité d'un partenariat).
Au terme des accords signés, la convention deviendrait une entité permanente veillant à leur application. Aujourd'hui, des États ferment les yeux sur les conditions de travail en pensant servir l'intérêt national mais ces salaires indécents maintiennent surtout des populations entières dans la misère, et des pays entiers dans le sous-développement.
Il conviendrait donc de lier l'exportation vers les USA et l'UE à l'engagement des chefs d'États, au cours de la Convention internationale pour un salaire minimum, de légiférer ensuite dans leurs pays respectifs, en faveur d'un salaire minimum mondial rémunérant les ouvriers et employés qui produisent des biens et services à destination de ces deux grands marchés de consommateurs.
Chaque gouvernement devrait désormais s'enquérir du respect des nouveaux droits dans les entreprises nationales sous-traitantes et étrangères installées sur son territoire. Les salariés lésés pourraient solliciter l'organisme international dédié et des pénalités précéderaient une remise en question des importations en provenance du pays.
Le salaire minimum mondial pourrait ne concerner au début que 2 à 3 filières manufacturières parmi celles dont la production et le transport comptent parmi les plus polluants. De même, l'augmentation des salaires s'étalerait sur 2 voire 3 années afin que les changements s'effectuent sereinement. Une réflexion à propos d'un salaire minimum agricole concernant les produits non transformés aurait aussi lieu. Celle-ci prendrait en compte le différentiel de marge plus réduit du secteur. Le nouveau salaire agricole (à condition qu'il ne soit guère inférieur au salaire minimum déjà en vigueur dans le pays) pourrait donc se situer plus ou moins à mi-chemin entre le salaire médian et le salaire minimum manufacturier réservé à l'exportation de la même catégorie. Le salaire agricole pourrait aussi englober des activités d'extraction minière.
Les économies et salaires sont parfois interdépendants et il serait donc indispensable de veiller à ne pas accentuer des désordres économiques. Pour exemple: une augmentation de 30 % du salaire de l'ouvrier manufacturier chinois travaillant pour l'exportation garantirait mieux le maintien des emplois également revalorisés, occupés chez les sous-traitants de plus en plus nombreux sur tous les continents.
Un faible risque d'inflation et de déstabilisation des économies
Les hausses de taux d'inflation dans les pays émergents ou en développement pourraient se révéler mesurées car l'augmentation ne concernerait pas les travailleurs œuvrant pour la production locale et n'affecterait donc que peu les prix locaux. Néanmoins, la progression sociale et économique s'étendrait au fil des années, naturellement et plus ou moins progressivement, selon la structure de chaque pays. Le risque de voir leurs industries déménager ailleurs se pose peu. Les donneurs d'ordres ne partiraient pas précipitamment du Bangladesh, de l'Éthiopie ou du Vietnam d'autant que les coûts salariaux ne seraient pas inférieurs ailleurs. Il est aussi peu probable que les industries de main-d'œuvre retournent soudain dans des pays qui ont perdu leurs savoir-faire et leurs capacités productives.
Le salaire minimum ne ferait pas grimper inconsidérément les prix dans les enseignes occidentales car ceux-ci doivent tenir compte de la capacité d'achat des clients et d'une concurrence féroce. Dans le domaine de l'habillement, plus de 40 % des vêtements sont vendus soldés ou en promotion. Seraient principalement impactés le rythme hebdomadaire des collections «fast fashion», les campagnes publicitaires récurrentes ainsi que le nombre et la surface des magasins pharaoniques installés sur les avenues les plus prestigieuses. Le salaire minimum appliqué à une part de la population active d'un pays constitue un concept sans précédent et il n'existe pas d'exemple spécifique. Alors citons l'augmentation historique du salaire minimum français, décidée lors des accords de Grenelle en 1968. Celui-ci effectuait un bond de 35 %, le revenu minimum agricole progressait de 55 % et d'autres salariés voyaient au cours des mois ou des années suivantes leur rémunération croître de 100 % ou davantage, mais le taux d'inflation restait relativement stable jusqu'au choc pétrolier d'octobre 1973.
Si l'on examine le cas plus récent de la Chine, bien que nous devions aussi tenir compte des dumpings, on observe que la multiplication du salaire moyen par 300 % en moins de dix ans, n'a pas généré une flambée des prix des produits exportés et vendus dans les rayons des grandes enseignes.
Francis JOURNOT - http://www.international-convention-for-minimum-wage.org